Espace : James-Webb et les galaxies improbables

 Une nouvelle étude parue mercredi s’intéresse à plusieurs galaxies observées au fin fond de l’univers grâce au télescope James-Webb. Massives, elles semblent défier la compréhension de la formation des galaxies. Mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives de ces observations.



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Ce ne sont que des tous petits points rougeâtres dans un immense ciel noir qui ont été repérés par le télescope spatial géant James-Webb. Pourtant six d’entre eux, analysés dans une nouvelle étude publiée dans Nature mercredi 22 février, ne semblent pas à leur place. Des observations qui cadrent mal avec les théories sur la formation des galaxies et le Big Bang. À tel point que The Guardian les a qualifiés de potentiels "galaxy breakers" – c'est-à-dire qui pourraient mettre à genou certains modèles utilisés en astrophysique.

Mais attention, les résultats publiés sont à prendre avec des pincettes et ne sont pas encore définitifs, de l’avis des astrophysiciens interrogés par France 24 ainsi que des auteurs de l’article.

Ces six feux rouges qui brillent dans le ciel représentent autant de galaxies prises en photos par le télescope James-Webb lors d’une des premières observations effectuées en juillet 2022. Elles font partie d'un lot de treize galaxies, étudiées dans l'article de Nature, qui se trouvent dans l’univers très lointain et seraient nées environ 600 millions d’années après le Big Bang, il y a plus de 13 milliards d’années. Mais ce sont les six qui intriguent le plus.

1, 2, 3, 100 milliards de Soleils

"On regardait droit dans les premiers temps de l’univers [dans l’univers la distance d’observation est à la fois dans l’espace et le temps, NDLR] sans savoir ce qu’on allait trouver. Et on est tombé sur quelque chose de tellement inattendu que cela rentre en conflit avec nos modèles scientifiques", a affirmé Joel Leja, astrophysicienne à la Penn State University (Pennsylvanie), interrogée par la chaîne américaine CNN.  

La bande des six galaxies est massive. Elles dépassent toute la masse de 10 milliards de Soleils, tandis que l’une d’elle atteint même les 100 milliards de Soleils, "ce qui la rapproche de notre Voie Lactée" qui en impose en la matière, résume Le Monde.

Pour évaluer la masse, "on observe la lumière qui émane de ces galaxies", note Mauro Stefanon, astrophysicien à l’observatoire de Leiden, l’un des coauteurs de l’article publié dans Nature. La lumière provient des étoiles, et plus elles sont nombreuses, plus une galaxie est considérée comme massive. 

Et c’est là que le bât commence à blesser. De tels monstres galactiques qui regorgent d’étoiles ne devraient pas se trouver aussi près des débuts de notre univers, d’après le modèle standard de créations des galaxies. "Pour amasser la matière nécessaire à la formation des étoiles, il faut du temps. Et les échelles de temps que prédisent les modèles sont plutôt longues", explique Olivier Berné, astrophysicien à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie.

Des galaxies aussi massives que les six ayant retenu l’attention des auteurs de l’article dans Nature, "n’ont été vues jusqu’à présent qu’après le premier milliard d’années ayant suivi le Big Bang", note Le Monde.

Mais ce n’est pas le seul défi posé à notre compréhension de l’histoire de l’univers par les hypothèses avancées dans l’étude. Le halo rouge des galaxies sur les images prises par le télescope James-Webb devrait plutôt être bleu. "Il y a deux types de rouge dans les observations spatiales, celui qui permet de dire si un objet est lointain, et le rouge intrinsèque des étoiles qui indique que ce sont des corps matures. Dans le cas de nos six galaxies, elles ont toutes une couleur rouge intrinsèque", détaille Mauro Stefanon. Pour résumer, "une galaxie jeune aura une couleur bleue, tandis qu’une plus vieille sera rouge", assure François Hammer, astrophysicien à l’Observatoire de Paris et qui vient de publier "Voyage de la Terre aux confins de l'Univers" (éd. Odile Jacob).

Là encore, des galaxies qui se trouvent aussi loin dans le temps et l’espace ne devraient pas avoir eu le temps de développer des étoiles matures.

En attendant le spectrographe

Du moins, si les auteurs de l’étude ne se sont pas trompés dans leurs estimations quant à la distance de ces six galaxies. "Ils prennent d’ailleurs leurs précautions et disent clairement qu’à ce stade, il ne s’agit que de galaxies candidates", souligne Olivier Berné. L'étape suivante serait de les qualifier de galaxies avérées.

Ces réserves tiennent avant tout au fait que les hypothèses n’ont pas encore été soumises au juge définitif en la matière : le spectrographe NIRSpec du télescope James-Webb. Il s’agit d’un engin qui peut automatiquement "fixer le décalage spectral [ou décalage vers le rouge qui correspond aux objets lointains, NDLR] permettant d’avoir une estimation plus précise de la distance", explique François Hammer.

Pour l’instant, les auteurs de l’étude ont utilisé une méthode par colorimétrie en appliquant différents filtres permettant de se faire une idée de la distance. C’est une approche plus artisanale fréquemment utilisée, mais dont les résultats sont à prendre avec davantage de pincettes. 

Ce fameux rouge synonyme de grande distance peut aussi être lié à d’autres facteurs. "Il y a d’autres moyens pour une galaxie de se déguiser dans les infrarouges, notamment si son spectre est rougi par la poussière spatiale", avance Stéphane Charlot, spécialiste de la formation des galaxies à l’Institut d’astrophysique de Paris. "La poussière absorbe en effet le bleu, ce qui fait qu’une planète très poussiéreuse aura une signature beaucoup plus rouge", ajoute François Hammer.

Il se peut aussi que ces galaxies ne soient pas aussi massives qu’elles n’y paraissent, notamment "si elles contiennent des trous noirs supermassifs", reconnaît Mauro Stefanon. Ces phénomènes, appelés "quasars", "font rayonner fortement les gaz tombant sur eux, évoquant une signature d’étoiles", souligne Le Monde. Dans cette hypothèse, il ne faudrait plus autant d’étoiles pour expliquer la luminosité de ces galaxies.

"L’analyse par le spectrographe permettra d’établir la distance et aussi d’éliminer, le cas échéant, les autres explications possibles pour les caractéristiques de ces galaxies. Donc attendons les résultats avant de remettre en question les modèles physiques", résume François Hammer. 

Des jeunes galaxies aux caractéristiques différentes ?

Mais même si cet outil confirme les hypothèses de l’étude, cela ne signera pas automatiquement la fin de la théorie du Big Bang. "Il faut bien comprendre que les modèles fournissent des règles générales, et qu’il y a la place pour des exceptions. Peut-être faudra-t-il affiner ces modèles pour prendre en compte ces éventuelles nouveautés", estime Olivier Berné.

Pour lui, cette nouvelle étude s’inscrit aussi dans une tendance plus générale d’articles autour des premières observations du télescope James-Webb qui "suggère que les galaxies plus jeunes n’ont pas forcément les propriétés qu’on leur prêtait jusqu’alors". 

C’est peut-être de ce côté-là qu’il faut chercher la réponse aux défis de cette étude à la théorie sur la formation des galaxies. "Il y a ainsi des indices qui suggèrent que les étoiles formées aux premiers temps de l’univers pouvaient émettre beaucoup de lumière sans être aussi massives", note Stéphane Charlot. Autant de pistes qui montrent bien qu’on est loin d’avoir tout compris sur la formation de notre univers.

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